Lâcher prise sur le résultat : la subtile puissance du neurofeedback dynamique

Véronique Heuze • 24 juillet 2025


Travailler avec des personnes souffrant de détresse émotionnelle profonde ou de longue durée, comme une dépression résistante aux traitements, représente non seulement un défi clinique, mais aussi un défi profondément humain. En tant que Neurotrainer, je marche souvent sur une ligne ténue. D’un côté, je porte l’espoir de voir mes clients évoluer, convaincus du potentiel de transformation du système nerveux. De l’autre, je dois renoncer à toute attente de résultat précis ou de changement défini. Ce paradoxe est au cœur même du neurofeedback dynamique, et c’est l’un des aspects les plus libérateurs, mais aussi les plus humbles, de cette approche.

Le neurofeedback dynamique n’est pas un traitement. Cette distinction va bien au-delà d’un simple choix de vocabulaire. Elle redéfinit entièrement la manière dont nous comprenons ce qui se passe lors d’une session. Contrairement aux approches classiques qui interviennent de façon directive, interprètent ou tentent de corriger des schémas cérébraux, le neurofeedback dynamique agit comme un miroir. Il fournit au cerveau une information en temps réel sur sa propre activité, ce qui permet au système nerveux central de repérer ses inefficacités, de retrouver sa capacité d’autorégulation, et de tendre naturellement vers plus de cohérence. Si le processus est soutenu par un dispositif fondé sur des algorithmes mathématiques avancés, capables de capter et refléter avec une extrême précision l’activité cérébrale en temps réel, l’intelligence derrière le changement n’est pas celle du praticien, mais bien celle du cerveau lui-même: c’est bien l’intelligence intrinsèque du cerveau qui guide le changement. 

Quand une personne arrive avec des difficultés complexes et anciennes, après avoir essayé de nombreux médicaments, thérapies, voire des interventions plus invasives, l’enjeu semble immense. Il peut y avoir un espoir discret, ou au contraire désespéré, que "cette fois, quelque chose marche enfin". En tant que praticienne, je ressens parfois une pression implicite à rassurer, à mesurer l’efficacité séance après séance. Mais la réalité, c’est que le cerveau n’évolue pas selon notre agenda. Il suit son propre rythme, guidé par une dynamique interne d’équilibre, d’adaptation et de résilience.

Les neurosciences soutiennent cette idée. Le cerveau est un organe d’adaptation. Il surveille en permanence l’état interne du corps et les signaux de l’environnement, grâce à des boucles de rétroaction visant à maintenir l’homéostasie. Mais lorsqu’il est submergé par un stress chronique, des traumatismes ou des perturbations neurologiques, ces boucles peuvent se dérégler. Le cerveau peut alors se figer dans des schémas rigides certaines zones devenant hyperactives, d’autres moins réactives, entraînant des symptômes comme l’anxiété, la dépression, l’insomnie ou la dissociation. Le neurofeedback dynamique ne vient pas corriger ces déséquilibres, mais les met en lumière de manière subtile, offrant ainsi au système l’opportunité de se réajuster spontanément. Les signaux reçus pendant la séance permettent au cerveau de se poser, de se réorienter, de se réorganiser.

C’est ce que nous entendons lorsque nous disons que le processus est non linéaire et non directif. Le praticien ne choisit pas un symptôme à viser. Nous ne disons pas au cerveau quoi faire. Nous partons même du principe que le cerveau sait mieux que nous ce qui a besoin d’attention. En nous mettant de côté, nous permettons au système de redéfinir ses priorités, ce qui mène souvent à des améliorations inattendues.

Alors, que répondre lorsqu’un client, surtout après avoir tout essayé, nous demande si cela va l’aider ? La réponse honnête est : nous ne savons pas, du moins pas au sens où l’on attend généralement une garantie. Nous ne promettons pas de résultats spécifiques, nous ne traitons pas de diagnostics précis. Ce que nous proposons, c’est un espace dans lequel le cerveau peut faire ce qu’il est conçu pour faire : s’adapter, se réorganiser.

Et voici le paradoxe : c’est précisément parce que nous n’intervenons pas de manière directive, parce que nous ne forçons rien, que nous observons souvent des transformations profondes. Non pas parce que nous les avons provoquées, mais parce que le système nerveux, lorsqu’il reçoit un retour d’information précis et qu’il se sent en sécurité, tend naturellement vers une meilleure régulation. Ce n’est pas une croyance naïve. C’est un principe fondé sur les propriétés auto-organisatrices des systèmes complexes, abondamment documenté en neurosciences comme en théorie des systèmes.

La recherche sur la neuroplasticité a d’ailleurs démontré que le cerveau adulte peut changer tout au long de la vie. Même chez les personnes souffrant de troubles de l’humeur sévères, l’imagerie cérébrale fonctionnelle montre que l’activité cérébrale peut se modifier si les bonnes conditions sont réunies. Ces changements ne nécessitent pas d’être imposés de l’extérieur ; ils ont besoin d’être rendus possibles. Le neurofeedback dynamique constitue précisément cette invitation : douce, non invasive, respectueuse du rythme propre à chaque individu.

Bien entendu, chaque personne réagit différemment, et le moment où les effets se manifestent varie d’un individu à l’autre. Certains ressentent des effets subtils dès les premières séances un meilleur sommeil, une baisse de l’anxiété, une plus grande clarté mentale. D’autres ont besoin de plus de temps. Certains encore ne perçoivent pas les changements immédiatement. Et c’est ici que le rôle du praticien prend tout son sens. Nous ne sommes pas là pour pousser, analyser, ou corriger. Nous sommes là pour observer, soutenir et offrir un cadre sécurisant, même lorsque le processus semble lent ou imprévisible.

Lâcher prise sur le résultat ne signifie pas que nous sommes indifférents. Cela signifie que nous faisons confiance, non pas à la technologie, mais à l’intelligence du système nerveux. Cette confiance nous permet de rester ancrés lorsque les doutes émergent. Elle nous aide à rappeler doucement au client que l’objectif n’est pas de supprimer les symptômes, mais de permettre au système de retrouver son équilibre. Et surtout, elle nous aligne sur le principe fondamental du neurofeedback dynamique : la transformation ne se produit pas par nous, elle se produit grâce au système lui-même.

Ainsi, lorsque quelqu’un nous demande : « Est-ce que cela va marcher pour moi ? », nous pouvons répondre avec honnêteté et compassion. Nous pouvons expliquer qu’il ne s’agit pas d’un traitement contre la dépression, l’anxiété ou les traumatismes, mais d’un entraînement du cerveau à retrouver sa capacité naturelle de régulation. Nous pouvons partager notre expérience des changements parfois puissants qui émergent, non parce qu’on les a provoqués, mais parce que le cerveau est bien plus capable que ce que l’on imagine. Et nous pouvons enfin nous libérer du besoin de prouver quoi que ce soit, en sachant que les transformations les plus profondes sont souvent celles qui se produisent sans effort, en douceur, depuis l’intérieur.

Au fond, notre rôle n’est pas de garantir la transformation, mais de nous assurer de ne jamais faire obstacle à son émergence. C’est là la véritable force de ce travail et le cadeau silencieux que nous offrons à chaque personne qui pousse la porte de notre cabinet.